COMPTE-RENDU : « Une autre croissance est-elle possible localement ? (4/5) »
L’édition 2016 du Salon Parcours France, le 11 octobre dernier, était rythmée par plus de 50 ateliers et tables rondes, avec pour fil rouge la croissance dans les territoires. Animées par des décideurs, entrepreneurs et experts, les tables rondes ont notamment décliné les conditions, moyens et exemples d’une croissance locale. Quels sont les secrets de fabrication des territoires qui parviennent à «surperformer» par rapport à l’économie nationale et internationale ? Comment bâtir les stratégies, créer les écosystèmes qui pourront surmonter les dépressions, amplifier les reprises et maintenir le territoire dans une dynamique de croissance ?
La quatrième table ronde était consacrée à l’émergence d’une autre croissance locale. De nouvelles formes de production et d’organisation sont en train de créer de nouvelles formes de consommation et de commercialisation, indissociables de la création de lien social : le tout au service de la transition écologique, grande gagnante de ces initiatives alternatives. Associations, coopératives, mutuelles, entreprises à but social et solidaire…Au total, l’ESS compte 200 000 entreprises et structures, pour 2,38 millions de salariés. Il pèse aujourd’hui 10 % du PIB et près de 13 % des emplois privés en France.
Pour en débattre, étaient réunis :
Jean-Louis Cabrespines, ex-Président du Conseil National des Chambres d’Économie Sociale et Solidaire (2010-2016)
Bertrand Le Coq, dirigeant d’Appaloosa, agence de communication organisée en société coopérative
Modération : Clément Jacquemet, Parcours France
Loin des clichés sur les gentils rêveurs écolos, l’économie sociale et solidaire tire sa force d’une professionnalisation croissante, d’une organisation rigoureuse et d’un maillage territorial très dense. En région, elle se structure autour des Chambres Régionales de l’Economie Sociale et Solidaire (CRESS) et des Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE). «Associations représentatives et transversales, les CRESS ont vocation à réunir, dans leur région, tous les acteurs de l’ESS. Travaillant main dans la main avec les élus locaux, ils accompagnent le développement des structures de l’ESS et la mise en œuvre des politiques publiques en la matière», explique Jean-Louis Cabrespines. Les 16 CRESS se fédèrent au sein d’un Conseil national, qui les représente et renforce leur structuration, leur visibilité et leur influence auprès des pouvoirs publics. Quant aux PTCE, ils agrègent un ensemble cohérent d’acteurs sur le terrain autour d’un projet économique commun, du développement d’une filière : valoriser la matière organique dans la région de Toulouse (Organic’Vallée), reconvertir et redynamiser l’ancien site de la Camif à Niort (PTCE Niortais)… En tout, la France compte une centaine de ces «clusters ESS».
«Par rapport à une entreprise classique, une structure de l’ESS dispose de leviers très efficients pour exercer une gestion saine et durable. En l’absence d’actionnaires et de pression sur les dividendes à verser, elle échappe au court-termisme et peut construire sur la durée, sans craindre d’innover» – Jean-Louis Cabrespine, ex-Président du Conseil National des Chambres d’Économie Sociale et Solidaire
Une structure sociale et solidaire ne diffère pas tellement d’une entreprise classique par ses champs d’activité. Contrairement, là encore, aux idées reçues, l’ESS ne s’est jamais cantonnée aux éoliennes, à l’agriculture bio ou au recyclage de déchets. Elle recouvre aujourd’hui de multiples activités, dont certaines dans des secteurs hyper-concurrentiels : banque et assurance, commerce, fibre optique, communication, industrie, sports et loisirs, transport, tourisme… La grande différence tient à la gouvernance – à forte teneur en démocratie participative – et au but poursuivi par l’ESS : non pas la rentabilité à tout prix ni la rémunération du capital mais la recherche du bien commun et de l’utilité sociale. Ce qui n’empêche nullement la rigueur et la solidité financières…Tout au contraire ! «Par rapport à une entreprise classique, une structure de l’ESS dispose de leviers très efficients pour exercer une gestion saine et durable. En l’absence d’actionnaires et de pression sur les dividendes à verser, elle échappe au court-termisme et peut construire sur la durée, sans craindre d’innover; elle réinvestit la quasi-totalité de ses excédents dans ses projets ou dans ses fonds propres; enfin son utilité collective et sociale, comme sa gouvernance participative et démocratique – une personne = une voix, et non une action = une voix – constituent de puissants facteurs de motivation et de cohésion », souligne Jean-Louis Cabrespines. Signe de cette bonne santé : depuis 2000, l’emploi privé dans l’économie sociale et solidaire a progressé de 24%, contre 4,5% seulement dans le secteur privé hors ESS. L’ESS, aujourd’hui, c’est 1,5 fois plus d’emplois que la construction et 4,5 fois plus que l’agroalimentaire. Et près de 600 000 emplois sont à renouveler d’ici à 2020, en raison des départs en retraite. «Ces emplois sont d’autant plus intéressants, pour les régions et les collectivités territoriales, qu’ils sont souvent porteurs d’innovation, bénéfiques pour l’environnement et la cohésion sociale…et non délocalisables», analyse Jean-Louis Cabrespines.
«Un homme égale une voix. Que l’on soit technicien ou cadre, on a son mot à dire. La créativité, l’innovation et la dynamique s’en trouvent renforcées» – Bertrand Le Coq, dirigeant d’Appaloosa
Parmi les différentes formes sociales et statutaires que peut revêtir une structure en ESS, la SCOP est une société coopérative et participative de forme SA, SARL ou SAS, dont les salariés sont les associés majoritaires, et le dirigeant est élu par les salariés. «Dans une SCOP, le partage des bénéfices est équitable : une part pour tous les salariés, et une part – 40 à 45 % – pour les réserves, qui sont définitives et impartageables», explique Bertrand Le Coq, dirigeant de la SCOP Appaloosa, une agence de communication basée près de Morlaix (Finistère), qui compte aujourd’hui 11 salariés. Pour Bertrand Le Coq, la gestion collective de l’entreprise est un vrai plus. «Un homme égale une voix. Que l’on soit technicien ou cadre, on a son mot à dire. La créativité, l’innovation et la dynamique s’en trouvent renforcées». L’occasion, pour lui, de tordre le cou à la caricature. «Non, on ne réunit pas tous les associés dès qu’il s’agit d’acheter 3 crayons et 2 gommes. Nous nous réunissons pour les grandes décisions, généralement une fois par mois». Il souligne qu’entre Scop et entreprise classique «au quotidien, la façon d’entreprendre est différente. Chacun peut intervenir pour proposer une idée, manifester un désaccord. Et puis tous les salariés ont accès aux comptes, il y a une réelle transparence». Autant de responsabilités partagées qui suscitent une implication maximale. «Chacun a le projet chevillé au corps» conclut Bertrand Le Coq.
«L’Économie Sociale et Solidaire est fille de nécessité» – Jean-Louis Cabrespines, ex-Président du Conseil National des Chambres d’Économie Sociale et Solidaire
La vitalité de l’ESS est-elle liée à une prise de conscience, au sentiment qu’un modèle, productiviste et consumériste, est aujourd’hui à bout de souffle ? «Le développement de l’ESS s’est toujours accéléré en période de crise, lorsque l’économie traditionnelle ne parvenait plus à répondre aux besoins et aux aspirations de la population», remarque Jean-Louis Cabrespines. Pour Bertrand Le Coq, nul doute que le développement de l’Économie Sociale et Solidaire est à relier à l’environnement actuel, mais pas seulement à la situation économique. Son succès s’explique selon lui par le fait que «c’est une forme d’économie plus respectueuse de l’homme et de l’environnement». Il insiste sur «le bonheur au travail» qu’apporte l’ESS et sur l’importance fondamentale d’un but économique et social qui dépasse la simple valorisation du capital et la rémunération d’actionnaires lointains.
Pour une région, un territoire, l’ESS génère ainsi de multiples bénéfices : elle est une source prolifique d’innovations; elle crée des emplois non délocalisables; elle consolide et dynamise le tissu local en suscitant des démarches de coopération et de mutualisation; elle contribue à la réduction des inégalités et à la lutte contre l’exclusion, de même qu’à la revitalisation des territoires ruraux, des zones en déshérence et en désindustrialisation; enfin elle met en œuvre la transition énergétique.
Pour aller plus loin :
- Compte-rendu de la table ronde « Ces innovations qui redessinent la carte de la France » (1/5)
- Compte-rendu de la table ronde « L’économie de proximité, un poids lourd discret et en pleine croissance ! » (2/5)
- Compte-rendu de la table ronde « Startup wanted ! Comment et pourquoi les régions s’arrachent les jeunes pousses innovantes » (3/5) »
- Compte-rendu de la table ronde « Quelle place pour la culture et la création dans l’économie de demain ? (5/5) »