COMPTE-RENDU : « Quelle place pour la culture et la création dans l’économie de demain ? (5/5) »
L’édition 2016 du Salon Parcours France, le 11 octobre dernier, était rythmée par plus de 50 ateliers et tables rondes, avec pour fil rouge la croissance dans les territoires. Animées par des décideurs, entrepreneurs et experts, les tables rondes ont notamment décliné les conditions, moyens et exemples d’une croissance locale. Quels sont les secrets de fabrication des territoires qui parviennent à «surperformer» par rapport à l’économie nationale et internationale ? Comment bâtir les stratégies, créer les écosystèmes qui pourront surmonter les dépressions, amplifier les reprises et maintenir le territoire dans une dynamique de croissance ?
La cinquième table ronde était dédiée à la place de la culture et de la création dans l’économie de demain. Selon une étude récemment réalisée par Ernst & Young et France Creative, les industries culturelles et créatives (arts visuels, musique, spectacle vivant, cinéma, télévision, radio, jeu vidéo, livre, presse, publicité et communication) ont totalisé, en 2013, un chiffre d’affaires de 83,6 milliards d’euros – contre 75 en 2011 – et 1,3 million d’emplois- contre 1,2 en 2011. C’est le double des emplois liés à la production automobile et 8 fois ceux du secteur de la chimie. Capitales pour le rayonnement de la France à l’international, les industries culturelles et créatives (ou ICC) constituent à la fois une arme à l’export (2,7 milliards d’euros en 2013) et pour les régions un puissant facteur d’attractivité, de tourisme et de renouvellement urbain.
Pour débattre de la place des industries culturelles et créatives dans l’économie locale étaient réunis :
Steven Hearn, dirigeant de Scintillo, groupe fédérant une vingtaine d’entreprises culturelles
Maxime Valette, créateur de viedemerde.fr et de Beta et Compagnie, dirigeant de Netcats et de Dékalée
Modération : Élodie Vialle, Journaliste (Mediatico, Usbek & Rica…), consultante et enseignante
«Qu’il s’agisse d’un festival, d’un théâtre ou d’un cinéma, l’action des entrepreneurs culturels est souvent très localisée, circonscrite à une commune. Il faut donc une structure transverse pour susciter des coopérations, créer une émulation collective, essaimer, rassembler dans un même lieu un nombre critique d’ICC et amplifier le rayonnement du territoire» – Steven Hearn, dirigeant de Scintillo
Steven Hearn est un fervent apôtre de l’entrepreneuriat culturel, une notion qu’il a définie dans un rapport sur le sujet remis au gouvernement en 2014. «Dans la culture, il y a d’un côté les artistes, et de l’autre le public. La grande famille des entrepreneurs culturels, ce sont tous les intermédiaires, qui permettent la rencontre entre artistes et public, structurent et organisent la filière», résume le dirigeant de Scintillo. Steven Hearn a d’abord monté une agence : le troisième pôle, qui accompagne les collectivités dans l’élaboration d’une stratégie culturelle et créative. Comment transformer une friche industrielle en un espace culturel ? Comment créer un festival ? Comment rassembler les acteurs culturels et créatifs sur un même territoire ? Il a parallèlement exercé la direction d’espaces culturels, comme la Gaîté Lyrique ou Le Saint André des Arts à Paris. Depuis quelques années, il développe en Afrique francophone des incubateurs et des pépinières d’entreprises culturelles.
Dans son rapport sur l’entrepreneuriat culturel, Steven Hearn a identifié trois grandes pistes pour développer les ICC au sein d’un territoire : favoriser l’accès des entreprises culturelles innovantes aux dispositifs d’aides et de financement de droit commun (crédits impôt recherche, statut de jeune entreprise innovante, programme French tech, financements de bpifrance…); organiser une convention des entreprises culturelles, afin de favoriser la structuration du secteur et lui permettre de se positionner comme référent dans le dialogue national sur le développement économique; enfin inciter localement au regroupement des compétences économiques et culturelles pour faciliter la constitution de clusters régionaux, à l’exemple de ce que certaines collectivités ont développé dans le domaine du numérique ou du traitement de l’image.«Qu’il s’agisse d’un festival, d’un théâtre ou d’un cinéma, l’action des entrepreneurs culturels est souvent très localisée, circonscrite à une commune. Il faut donc une structure transverse pour susciter des coopérations, créer une émulation collective, essaimer, rassembler dans un même lieu un nombre critique d’ICC et amplifier le rayonnement du territoire», souligne Steven Hearn. A l’image du Quartier de la Création à Nantes ou encore du Pôle Media de la Belle de Mai, à Marseille, qui ont fortement dynamisé l’économie locale.
«Il y a 15 ans, on imaginait que le web ferait disparaître le papier et permettrait aux gens de se retrouver. Résultat : on n’a jamais autant utilisé de papier et les algorithmes nous enferment dans des bulles parallèles. D’où la nécessité de lieux physiques, d’une place emblématique où créateurs, entrepreneurs culturels et autres peuvent se rencontrer «en vrai»» – Maxime Valette, créateur de viedemerde.fr et de Beta et Compagnie, dirigeant de Netcats et de Dékalée.
Pour construire cette économie culturelle et créative locale, les collectivités disposent d’un ciment à prise rapide : le digital, avec ses innombrables possibilités de coopération et de co-création. C’est ce que soutient Maxime Valette, créateur du site à succès Viedemerde.fr : «Les gens ne venaient pas pour la beauté du site mais pour l’humour, la création collective, le travailler et le rire ensemble». Le digital a ainsi amené avec lui de nouveaux usages, de nouvelles formes de travail dans de nouveaux lieux, avec une nouvelle manière de travailler. Maxime Valette l’a bien compris lui qui a lancé plusieurs sites destinés aux créatifs de tous poils. A commencer par 5€.com, une plateforme qui s’adresse aux créateurs et leur permet de monnayer des micro-services à partir de 5€. Il explique : «Un auto-entrepreneur qui cherche un logo pour sa boîte pouvait jusqu’à présent compter sur une de ses connaissances pour lui proposer quelques chose gratuitement ou sur le travail d’une agence à 500 €. Comme on n’a pas tous un cousin graphiste ou une somme conséquente au démarrage, il y avait un vrai besoin».
Au delà du micro-service se profile toute une économie de la mise en relation, déterminante dans les secteurs de la culture et de la création. Où digital et présentiel font bon ménage. Maxime Valette a décidé d’installer dans sa ville d’origine, Reims, un vaste bâtiment de 1 000 m2, Le Bloc Reims, dédié aux entrepreneurs, aux artistes, aux startups, avec des espaces de coworking. Le but : «Stimuler les échanges, les rencontres entre acteurs de différentes filières pour créer des services, des produits et des manifestations innovants». Steven Hearn, de son côté, créera prochainement à Lyon, Paris et Bruxelles des lieux d’échange de 3 000 m2 dédiés aux entrepreneurs culturels et créatifs. «Il y a 15 ans, on imaginait que le web ferait disparaître le papier et permettrait aux gens de se retrouver. Résultat : on n’a jamais autant utilisé de papier et les algorithmes nous enferment dans des bulles parallèles» souligne Maxime Valette. D’où la nécessité d’un lieu physique, d’une place ou créateurs, entrepreneurs et autres peuvent se «renifler». Tous les territoires pionniers en matière d’ICC ont ainsi ancré la création et l’économie digitales dans des bâtiments totem, des espaces collaboratifs doués d’une forte visibilité. Des lieux d’autant plus utiles pour les petites structures, auxquelles Steven Hearn recommande la stratégie des bancs de poissons : se regrouper pour «chasser ensemble» et mieux se faire remarquer. Une démarche appliquée, entre autres, au sein de la résidence et de l’incubateur d’entrepreneurs culturels Creatis.
«Par ailleurs les petites structures culturelles ont tout intérêt, pour la recherche de financements, à privilégier le mécénat – le mécène bénéficiant d’une défiscalisation – que le sponsoring – le retour sur investissement du sponsor s’avérant bien souvent trop faible» note Steven Hearn. Enfin ce dernier est un fervent partisan du crowdfunding, particulièrement bien adapté au projets culturels et créatifs, au point que se développent des plateformes de financement spécifiques aux ICC. «Trouver de l’argent n’est pas le seul avantage : le crowdfunding permet aussi de faire la preuve du concept, de tester et de marketer le projet», conclut Steven Hearn.
La ville de Bordeaux s’est ainsi associée à la plateforme de crowdfunding Proarti pour accompagner et financer les projets portés par les acteurs culturels de la région. Rennes a fait de même avec la Dynamo Culturelle, en partenariat toujours avec Proarti. Un nouvel exemple de la fertilité et de la créativité des coopérations entre collectivités et ICC.
Pour aller plus loin :
- Compte-rendu de la table ronde « Ces innovations qui redessinent la carte de la France » (1/5)
- Compte-rendu de la table ronde « L’économie de proximité, un poids lourd discret et en pleine croissance ! » (2/5)
- Compte-rendu de la table ronde « Startup wanted ! Comment et pourquoi les régions s’arrachent les jeunes pousses innovantes » (3/5) »
- Compte-rendu de la table ronde « Une autre croissance est-elle possible localement ? (4/5) »